Pour nous inciter davantage à cette affliction véritable et à cette
salutaire tristesse, écoutons cette histoire utile à l'âme et très
propre à exciter la pitié :
Un moine, nommé Stéphane, demeurait ici. Il
embrassa la vie érémitique et hésychaste. Ayant passé de nombreuses
années dans le gymnase de la vie monastique, il était tout paré de ses
jeûnes et surtout de ses larmes, et entouré des fleurs d'autres vertus
éminentes. Il avait sa cellule sur cette sainte montagne, sur le versant
d'Élie, le saint voyant de Dieu. Mais, par la suite, cet homme
vénérable, voulant se livrer efficacement à une pénitence plus austère,
se retira dans la région des anachorètes, appelée Sidè. Là, il mena
plusieurs années une vie très fervente et d'une grande austérité. Ce
lieu était dépourvu de toute consolation humaine et presque inaccessible
aux hommes, car il était environ à soixante-dix milles de la
forteresse. Vers la fin de sa vie, le vieillard revint dans sa cellule
sur la sainte montagne; il avait deux disciples palestiniens, d'une
grande piété, qui en avaient pris soin durant son absence. Au bout de
quelques jours, il fut saisi de la maladie qui devait l'emporter. La
veille de sa mort, il fut ravi en esprit; les yeux grands ouverts, il
regardait à droite et à gauche de son lit, comme si quelqu'un lui
demandait des comptes. Chacun des assistants l'entendait dire tantôt :
« Oui, en vérité, c'est exact ! mais c'est pour cette raison que j'ai
jeûné pendant tant d'années! » Tantôt : « Non, vous mentez, je n'ai pas
fait cela ! » Et de nouveau :
« Oui, c'est tout à fait vrai! mais j'ai
pleuré et j'ai rempli mon
service ! » et de nouveau : « Non, vous
calomniez! » Puis il disait encore : « Oui, c'est exact ! Oui ! Et je ne sais que dire à cela ! Mais
Dieu est
miséricordieux ! » Et c'était là en vérité un spectacle
terrible et
affreux que cette reddition de comptes invisible et sans
pitié. Et le
plus terrible, c'est qu'on l'accusait de ce qu'il n'avait pas fait.
Quelle chose étrange ! Devant plusieurs de ses fautes, cet hésychaste, cet anachorète ne trouvait à dire que ces mots : « Je n'ai rien à
répondre à cela », bien qu'il ait été moine pendant près de
quarante ans, et gratifié du don des larmes. Hélas ! Hélas ! Où
était donc la parole d'Ézéchiel : « Je te jugerai dans l'état où je te
trouverai, dit Dieu
. (Éz. 33, 13. 16)» Il ne pouvait rien dire de semblable pour se justifier. Pourquoi ? Gloire à celui qui seul
le sait ! Et des gens dignes de foi m'ont raconté qu'il avait même nourri
de sa main un léopard au désert. Et tandis qu'il était ainsi sommé de
rendre des comptes, il quitta son corps, nous laissant complètement dans
l'incertitude au sujet de son jugement, de sa fin, de la sentence, et
de la manière dont se termina la reddition de ses comptes.
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